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Billet d’humeur n°26 - 21 août 2005

Dedans, dehors, même combat

M.C. Escher, Rind, lithograph, 1955. Image source: National Gallery of Canada.

Un des plus grands apports de Jung à la psychologie a sans doute été de mettre en évidence la pluralité de notre monde intérieur et l'intérêt de son exploration. Ce n'est pas pour rien qu'on parle de psychologie complexe à son propos.

Moi, Persona, Ombre, Anima, Animus, Soi, ne sont que les plus célèbres de ces archétypes avec lesquelles il nous engage à composer. En rupture avec les cultures antérieures de conduite de la vie, essentiellement préoccupées par le moi et son idéal héroïque, Jung nous invite à écouter et à dialoguer avec les différents personnages de notre monde intérieur.

Pour faire court, c'est à une sorte de démocratie participative intérieure qu'il nous invite.

La formule est un tantinet provocatrice ; juste ce qu'il faut pour attirer l'attention sur une similitude qui nous apparaît comme une tendance lourde de notre époque. Qu'il s'agisse de la gestion des affaires publiques ou de la gestion des affaires intimes, dans les deux cas, il s'agit d'une gestion de la complexité. Avec elle, nous nous éloignons de la décision autoritaire par un seul, ou si vous préférez nous prenons nos distances avec " l'archétype monarchique paternel ".

Dans le domaine des affaires publiques par exemple, travailler au développement d'un territoire déterminé passe par la concertation. Il faut procéder à l'élaboration d'un diagnostic partagé avec les principaux acteurs de ce territoire. Ce diagnostic doit prendre en compte l'ensemble des problématiques (logement, emploi, économie, formation, culture, ...) et ensuite il doit déboucher sur un projet de développement, lui aussi partagé si l'on veut mobiliser toutes les énergies pour le réaliser.

Il en est du dedans comme il en est du dehors !

Si le Moi cherche à passer en force en imposant son point de vue, il y a fort à parier qu'il n'ira pas loin. Si nous voulons éviter les insurrections intérieures, le dialogue social est vivement recommandé. Ce dialogue, Jung conseille de le conduire en trois temps : laisser advenir, considérer, s'expliquer avec.

Dedans comme dehors, dialoguer ne signifie pas céder sur tout, dialoguer c'est seulement le contraire de décider tout seul.

Dedans comme dehors, la gestion de la complexité passe par la démocratie participative et le recul de l'exercice autoritaire du pouvoir.

Dedans comme dehors, cette vague de fond de la gestion de la complexité marque notre époque.


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Citation du mois

En ce moment, nous tentons de pénétrer le fantasme anarchiste, le fantasme nihiliste du terrorisme. Et je l'interprète comme une réaction de terreur de l'anima mundi, l'âme du monde qui est terrifiée par la façon dont on traite sa présence dans les choses. L'âme du monde n'est pas seulement terrifiée par les entrepreneurs et les planificateurs, mais par la chrétienté, par Descartes, par Newton, par la science et les universités… ; notre tradition tout entière a commencé par décréter que la matière et les choses matérielles sont synonymes de mal et de mort. Si vous avez étudié la philosophie, vous savez quel temps précieux on passe à prouver la réalité du monde extérieure, à prouver ce que tout animal sait en partant ! Vous savez que la tradition la plus importante soutient que le monde n'a pas la moindre qualité - ni couleur, ni goût, ni texture, ni température - et qu'une partie de cette tradition nie même l'existence du monde si nous ne sommes pas là pour le percevoir. Un déni ascétique du monde, une destruction du monde se produit chaque jour dans nos classes de philosophie. Le terrorisme et le nihilisme font déjà partie de notre vision occidentale du monde ; les terroristes sont donc l'incarnation du nihilisme qui est inhérent à notre système de pensée. [...]

Nous devons rattacher le terrorisme à ses racines dans notre conscience religieuse. Un terroriste est le produit de notre éducation qui dit que nos fantaisies n'ont pas de réalité, que l'esthétique n'est que pour les artistes, que l'âme n'est que pour les prêtres, que l'imagination est insignifiante ou dangereuse et qu'elle est pour les fous et que la seule réalité est celle du monde extérieur et que nous devons nous y adapter, même si du même souffle, on nous dit aussi que le monde extérieur n'existe peut-être pas ou qu'il est mort. Ce long processus d'élimination de la psyché produit des terroristes. Corbin m'a dit un jour : "Ce qui ne va pas dans le monde islamique, c'est qu'il a détruit ses images, et sans ces images si riches et si pleines dans sa tradition, les Islamistes deviennent fous parce qu'ils n'ont plus de réceptacles pour leur extraordinaire puissance imaginative."

James HILLMAN : "La beauté de Psyché", Le jour éditeur, pp 235 - 236


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