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Citations du mois



Novembre 2004

Le point de départ est simple : la plupart des hommes ignorent leur ombre. […]

Le plus souvent elle est projetée dans des troubles somatiques, des obsessions, des fantasmes plus ou moins délirants, ou dans l'entourage. Elle est " les gens ", auxquels on prête la bêtise, la cruauté, la couardise qu'il serait tragique de se reconnaître. Elle est tous ceux qui déclenchent la jalousie, le dégoût, la tendresse… Le meilleur portrait de soi-même est dessiné sur le monde par les sympathies et les antipathies. Il arrive que s'installe un équilibre à plusieurs, où l'ombre est portée par des malades proches ou par quelques intimes. D'une façon plus collective, il y avait jadis les sorcières et les ennemis, il y a aujourd'hui le gouvernement et la pollution.

Cette extrême dispersion du psychisme montre que de nombreuses prises de conscience sont nécessaires avant que l'ombre n'apparaisse au conscient. […]

La prise de conscience de l'ombre développe d'abord une série d'effets qui sont tous de l'ordre de la perte. En cela, elle est dangereuse. […]

L'homme qui fait face à son ombre entre dans un conflit aux caractères particuliers. Ce n'est pas une lutte, mais un démantèlement. Il ne s'agit pas de combattre pour ou contre, mais de maintenir les liens pendant une mise en morceaux. […]

La désorientation se double d'un dégoût de soi-même. L'absence de credo et de but laisse régresser les énergies. Le sujet se sent en prison, il n'embraie plus sur la vie de façon satisfaisante. Il est radicalement seul et sent une faute énorme quelque part.

Il importe pourtant de ne pas tomber dans le piège de ces souffrances et de ne pas devenir la victime d'un lyrisme désespéré. Le concept d'ombre permet de situer l'épreuve, d'y reconnaître les possibilités de croissance et de ne pas confondre la fin d'un moi imaginaire avec la mort.

Elie G. HUMBERT : "L'homme aux prises avec l'inconscient", espaces libres, Albin Michel, pp 29-44


Juin 2004

La passion est destructrice parce que je tente de la retenir, d'en faire ma chose, ma propriété.

Or, je souffrirai jusqu'à en mourir - et beaucoup savent que ces mots ne sont pas exagérés - jusqu'à l'instant où je "passerai au travers". Le sens de la souffrance, c'est de traverser. Nous vivons dans une époque tellement poltronne qui nous protège, qui nous apprend surtout à ne pas souffrir, à rester en surface, à ne pas entrer dans les choses. Tout est superficiel.

Or "il n'est pas de petites portes, il n'est que de petits frappeurs". La passion nous offre une chance de traverser le mur des apparences.

[…] Alors seulement commence la responsabilité envers le monde, quand on s'aperçoit combien de choses on fait souffrir de sa souffrance, combien de choses et de gens et d'êtres étouffent de notre étouffement, de notre ressentiment, de notre haine, que de choses sont prises dans le réseau de nos désespoirs, que de choses nous entraînons dans nos dépressions, combien de plantes meurent autour de nous dans notre appartement, combien de morts entraînent nos dépressions.

[…] rester en contact avec la profondeur, se pencher sur ce qui m'habite, sur ce silence des entrailles. Quelque chose en moi sait que rien ne peut m'arriver, que rien ne peut me détruire. C'est ce noyau infracassable en nous, ce noyau infracassable du divin en chacun de nous. Alors la peur cesse et quand la peur cesse, il y a un drôle de morceau en moins d'horreur sur la Terre!

Christiane Singer, extrait de Terre du ciel, http://www.humains-associes.org/No6/HA.No6.Singer.2.html


Mars 2004

Fallait-il distinguer, comme le font les historiens et certains exégètes, Marie la pécheresse, Marie de Béthanie et Marie de Magdala ? Ou au contraire, comme le fait la tradition ancienne, ne voir en ces " trois Marie " qu'une seule et même femme ? Nous ajouterions une seule et même femme à des étapes différentes de sa vie, chacune de ces étapes manifestant une mutation intérieure, une métamorphose de son désir et un nouveau visage du féminin.

[…] le fil qui relie ces femmes innombrables qu'incarne Myriam de Magdala, de la courtisane à la Sophia, c'est le désir, le désir têtu et fragile qui n'ignore aucun des climats de l'humain, du plus charnel au plus spirituel.

C'est ainsi que Myriam de Magdala peut être considérée comme l'archétype féminin de l'Anthropos, celle qui à travers les métamorphoses de son désir réalise son entièreté et sa Paix.

Jean-Yves Leloup, Une femme innombrable, le roman de Marie-Madeleine, Albin Michel.


note : Shalom, "la paix" en hébreu, d'où vient le nom Shulamite (la bien-aimée du Cantique des cantiques), veut dire être entier. Nous ne sommes pas en paix tant que nous ne sommes pas entiers. Tout ce qui n'est pas assumé n'est pas transformé…


Décembre 2003

Voyez-vous, je me regarde moi-même, dans le silence de Bollingen, avec bientôt huit décennies d'expérience de la vie, et je suis obligé d'avouer que je n'ai pas trouvé de réponse claire à la question que je suis. Je suis et je reste dans le doute sur moi-même, et cela d'autant plus que j'ai davantage essayé d'exprimer des choses précises. Tout se passe comme si, ce faisant, on s'éloignait encore plus de la connaissance de soi-même.

C.G. JUNG, Lettre du 6 avril 1954 à Aniela Jaffé, in Correspondance 1950 - 1954, Albin Michel


Octobre 2003

[...] ça, c'est la première forme que peut prendre l'expérience du Soi. Nous avons, nous pouvons avoir, ça n'est pas simple, ça n'est pas facile, je vous l'ai dit , mais nous pouvons avoir, il y a en nous la possibilité que de telles choses se passent et que nous ayons cette sorte d'ami intérieur, ou cette sorte de guide ou cette sorte de lieu privilégié.

La deuxième forme de l'expérience du Soi est ce qu'on éprouve lorsqu'il y a justement une sorte d'inclination, comme une sorte d'inspiration, quelque chose qui nous incline à choisir A plutôt que B, à sortir plutôt que de rester à la maison, à lire ou à aller se promener, cette sorte de ..., ça c'est comme la voix intérieure de cet autre centre en nous.

La troisième forme de l'expérience du Soi est de l'ordre de la consistance. Elle se vit comme une sorte de consistance intérieure. Ce qui a fait justement parler de la pierre, ce qui a fait parler de la pierre, que l'œuvre de notre vie est comme de faire notre propre pierre, mais pas du tout dans le sens d'une pétrification, mais bizarrement, paradoxalement - nous n'en sommes pas à une contradiction ou à un paradoxe près - cette pierre, quand nous l'avons en nous-mêmes, quand elle est comme faite, cette consistance intérieure elle n'est pas un blocage, elle n'est pas une opposition, elle n'est pas une lourdeur, elle est essentiellement un phénomène de réception. Je peux recevoir le monde en fonction de cette sorte de pierre intérieure qui s'est faite et qui s'est faite en roulant de tous les côtés, qui s'est faite en étant constellée, en étant travaillée, en étant animée de tous les côtés.

Élie HUMBERT, conférence sur Le Soi, Groupe CG JUNG de Paris, disponible en cassette (lot 32)


Juillet 2003

La puissance et l'ordre de la nature dans l'homme ! Tel est, en effet, l'enseignement que dispense l'étude de la synchronicité. Absurdité au regard superficiel, il devient, d'épreuve en épreuve, évident à celui qui consent à entrer dans la transformation par l'écoute de l'inconscient. Cette transformation est à la fois celle de son être propre et celle de l'univers, à l'unisson duquel il s'est placé. Et c'est bien la conclusion tirée par Jung de ses observations sur la synchronicité : celle-ci traduit à ses yeux l'existence d'un savoir a priori, ou savoir absolu, c'est-à-dire n'ayant pas pour siège un sujet connu. Ce savoir a une cause " transcendante ", au sens de " surpassant notre connaissance rationnelle ". Jung place cette cause dans l'archétype, dynamisme formateur ayant son siège au-delà du moi. Celui-ci apparaît comme régissant à la fois l'intérieur et l'extérieur. C'est pourquoi on doit le considérer non comme psychique, mais comme psychoïde. Le monde du dehors et le monde du dedans forment ainsi une unité. C'est l'unus mundus (le monde un) des alchimistes. Son unité a pour fondement le siège des archétypes, l'inconscient collectif, conçu ici comme âme du monde et sagesse cosmique.

Étienne Perrot, Le Jardin de la Reine, La Fontaine de Pierre


Juin 2003

L'effet miroir des tarots

Les cartes sont des territoires codés dont les images, les couleurs, les nombres et les noms sont autant de symboles qui permettent d'explorer l'inconnu et d'ouvrir des tiroirs secrets. Grâce à leur charge affective, des contenus refoulés ou censurés jaillissent, et des liens se tissent avec l'autre monde. Nous pouvons alors découvrir les ressorts jusque-là invisibles de nos motivations, et intégrer l'énergie inconsciente libérée par le symbole. Cela stimule le développement du processus psychique. Le tarot est un outil de projection idéal au même titre que le test de Rorschach.

Les cartes sont des miroirs suffisamment riches en archétypes de transformation et d'évolution spirituelle pour que le consultant puisse s'y refléter, y projeter sa carte du monde, ses émotions, ses angoisses, y déceler ses besoins. Citons L'Impératrice et L'Empereur, Le Soleil et La Lune, Le Diable et Le Monde, L'Hermite et Le Pendu.

Ce que nous voyons dans les cartes en dit plus long sur notre fonctionnement et notre histoire que sur l'image. Tout discours sur une lame montre ce que nous sommes, où nous en sommes, au moment précis de la consultation. En projection, chaque arcane prend un sens particulier, unique, personnel pour celui qui le contemple.

Ces miroirs fonctionnent grâce au pouvoir évocateur de l'image symbolique, à la dynamique de l'archétype et au mystère de la synchronicité qui permet de donner un sens à ce qui se passe.

Marianne Leconte, Psycho tarot, éd. Marabout


Mars 2003

[...] la connaissance de soi fait surgir certaines conséquences éthiques qui non seulement sont des objets de la science, mais réclament en outre une réalisation pratique. Celle-ci dépend toutefois des capacités morales de chacun, auxquelles nous savons par expérience qu'il ne faut pas trop se fier. Leurs limites sont d'ordinaire aussi étroites que celles de la raison. Mais la morale subit le même sort que la raison. Le Soi qui désire se réaliser s'étend de tous côtés par-dessus la personnalité égotique. II est, de par sa nature compréhensive, plus clair et plus obscur que cette dernière et, par suite, place le moi devant des problèmes qu'il préférerait de beaucoup éluder. Tantôt c'est le sentiment moral qui faiblit, tantôt c'est l'intuition, et tantôt l'un et l'autre, jusqu'à ce que finalement le destin en décide. Le moi ne manque jamais d'arguments moraux et rationnels que nous ne pouvons ni ne devons écarter aussi longtemps que nous pouvons nous y tenir. Car nous ne pouvons avoir quelque certitude d'être sur la bonne route que lorsque la "collision des devoirs" se règle pour ainsi dire d'elle-même et que nous sommes transformés en victimes d'une décision prise au-dessus de notre tête ou de notre cœur. C'est là que se manifeste la présence numineuse du Soi, qu'il est sans doute difficile, autrement, d'éprouver. C'est pourquoi l'expérience du Soi représente une défaite de l'ego.

C.G. JUNG, Mysterium conjunctionis, tome 2 p.351, Albin Michel, 1982


Décembre 2002

Quand je porte sur l'autre un regard amoureux, je lui révèle sa nature profonde, je le rappelle à son identité véritable. Comme il est dit dans le chant d'Hakuin : " Tu erres parmi les mendiants sans te souvenir de qui tu es. " Le regard de celui qui m'aime, ce regard qui voit en moi ce que je suis dans ma profondeur me place dans ma royauté, me remet dans la lumière originelle.

On dit souvent de l'amour qu'il est aveugle, il est visionnaire. Il voit ce que les autres ne voient pas. Il voit derrière les apparences, derrière toutes ces protections que je me suis constituées pour protéger mon cœur. Pendant toute la vie, je suis menacée de toutes parts, par mes éducateurs, et tous ceux qui veulent m'imposer leurs vues. Je me protège toute une vie durant. Mais le regard qui m'aime fait fondre toutes les carapaces dans lesquelles je me suis cachée autrefois pour survivre.

Et pour finir, l'amour est là, bien sûr, pour nous révéler que " Dieu n'est nulle part ailleurs que partout ", que dans chaque être qui me rencontre sur cette terre, dans chaque regard qui me croise. L'amour est là pour nous dire : dans chacun des êtres que je rencontre, je Te rencontre. Cette expérience de l'amour et de la passion dans nos existences, Maître Eckhart la décrit quand il fait dire à Dieu : " Il n'y a pas de place pour deux en toi, je ne peux entrer que si tu sors. ". C'est ce que nous ressentons dans une passion quand nous sommes évidés comme un tronc d'arbre par la foudre, quand il ne reste plus rien en nous que ce vide béant et vibrant. La présence de l'autre. Cette expérience absolue du sacré. Cette expérience mystique - puisque la rencontre de l'homme et de la femme est de la même nature que la rencontre de l'âme et de Dieu.

Christiane Singer, Du bon usage des crises


Octobre 2002

Ce pèlerinage, tous les alchimistes sont obligés de l'entreprendre. Au figuré du moins, car c'est là un voyage symbolique, et celui qui désire en tirer profit ne peut, fût-ce un seul instant, quitter le laboratoire. Il lui faut veiller sans trêve le vase, la matière et le feu. Il doit, jour et nuit, demeurer sur la brèche. Compostelle, cité emblématique, n'est point située en terre espagnole, mais dans la terre même du sujet philosophique. Chemin rude, pénible, plein d'imprévu et de danger. Route longue et fatigante que celle par laquelle le potentiel devient actuel et l'occulte manifeste ! C'est cette préparation délicate de la première matière, ou mercure commun, que les sages ont voilée sous l'allégorie du pèlerinage de Compostelle.

FULCANELLI, Les Demeures philosophales, chez Jean-Jacques Pauvert, (1965), tome 1, p.312


Août 2002

À travers des nuits qui auraient pu être mortelles, il [l'Esprit de l'alchimie] nous a effectivement dirigé vers la terre élue et nous a révélé le premier arcane dont parlent les livres, "la nature de la matière première". Un homme étroitement lié à Goethe, dont une légende synchronistique faisait de lui l'arrière-petit-fils, nous a appris que cette matière n'était pas éloignée mais proche et que, comme chacun, nous l'avions "auprès de nous, en nous". Jung l'appelait "l'inconscient". Ainsi que le disaient encore les grimoires, le nom du fourneau merveilleux nous apparut avec celui de la matière à cuire. Nous avons su que l'athanor était notre corps. Il nous restait à découvrir le nom du feu transformant, ce " secret que les adeptes ont juré de ne révéler à personne " . En fait, il était déjà là et c'était lui qui animait toute notre recherche. Son nom est AMOUR. Il nous faudrait, il est vrai, des années et des années pour lui donner la place qui est la sienne dans notre vie et celle des êtres qui viendraient se joindre à nous. Au prix d'expériences périlleuses, mères d'erreurs et d'échecs, nous sommes parvenus, par Sa grâce, à discerner partout son visage et à lui laisser la totale conduite de nos travaux. Là encore, nous avons vérifié une maxime alchimique:

" L'œuvre se réduit à une seule opération qui est la cuisson "
.

Étienne Perrot, Mystique de la Terre, La Fontaine de Pierre, (2002), pp 58-59


Juillet 2002

Peut-on jamais échapper à Maya ? La raison établit une mesure mais sa critique perd l'âme et le sens. L'expérience intérieure et les symboles raniment la vie, mais de quoi parlent-ils ? ne sont-ils pas seulement les visages de notre désir ? Une réalité, certes, mais qui demeure "pour moi". Y a-t-il un passage pour échapper au goût subjectif des choses aussi bien qu'aux normes collectives ?

Oui - là où c'est intolérable ; dans le secteur de la vie déchiré par une contradiction ou bloqué sur un manque définitif - là où les représentations lâchent parce qu'elles ne servent à rien.

La porte du réel, c'est le conflit.

Un conflit sans issue déchire le réseau des pensées et des fantasmes avec lesquels la personnalité consciente s'efforce d'enserrer l'objet et elle-même. Il ouvre sur l'inconnu, l'impossible, le miracle. L'initiative est ailleurs. Elle appartient à des forces inconscientes, s'il en existe.

Un homme prend conscience après un certain temps d'analyse du faux-moi avec lequel il a bâti toute sa vie depuis quarante ans. Il ne sait plus quoi penser, ni de quoi décider ; il n'a plus de goût à rien; il remet en question son mariage, ses enfants, sa profession ; il ne sait pas davantage comment faire avec lui-même. Qui dit que cet homme n'en restera pas là, devant sa vie en morceaux ? Qui sait d'où et comment "cela" repartira ?

Que valent les convictions philosophiques, politiques ou religieuses tant que le penseur, le militant et le croyant n'a pas pris conscience de son ombre, c'est-à-dire de tout ce qu'il refoule, compense et ne vit pas grâce à des convictions. La rencontre de l'ombre et du Mal, avec les conflits qui en résultent, est pour Jung l'épreuve de vérité. D'une part, elle met au jour l'emprise de l'anima et de l'animus ; d'autre part, elle inscrit une transformation du sujet dans les convictions qui subsistent.

" S'il est dégagé des projections, c'est-à-dire s'il n'est plus l'opinion des autres, l'homme sait qu'il est son propre oui et son propre non. Alors le soi agit comme une conjonction des opposés et constitue par là l'expérience la plus immédiate du divin que la psychologie puisse en définitive saisir ". [CG Jung, Les racines de la conscience, p. 284 ]

Jung a été saisi par cette expérience où le moi supporte le conflit et où un terme " qui n'était pas donné " se présentera peut-être. Lorsque l'unité se refait dans une forme nouvelle - une solution inattendue, une autre manière de vivre le conflit, un état dans lequel les éléments du conflit sont à la fois conservés et dépassés - le sujet a conscience d'être au contact avec une dynamique qu'il ignore et qu'il ne peut appréhender.

Jung n'hésite pas écrire :

" la transformation est un miracle qui ne peut s'accomplir sans l'aide de Dieu ".[CG Jung, Mysterium Conjunctionis, t. 2, pp. 28-29, p. 284 ]

Nous avons beau savoir que Jung s'en tient à un point de vue phénoménologique, nous devons tout de même nous demander ce qu'est le Dieu auquel il se réfère dans une telle circonstance.

Élie G. HUMBERT, Jung et l'interrogation religieuse, in SEUILS, Cahiers de psychologie jungienne, n°34, 3e trimestre 1982,


Mai 2002

J'ai gagné la certitude, en cours de route, que les catastrophes sont là pour nous éviter le pire. Et le pire, comment pourrais-je exprimer ce qu'est le pire ? Le pire, c'est bel et bien d'avoir traversé la vie sans naufrages, d'être resté à la surface des choses, d'avoir dansé au bal des ombres, d'avoir pataugé dans ce marécage des on-dit, des appa-rences, de n'avoir jamais été précipité dans une autre dimension. Les crises, dans la société où nous vivons, sont vraiment ce qu'on a encore trouvé de mieux, à défaut de maître, quand on n'en a pas à portée de la main, pour entrer dans l'autre dimension. Dans notre société, toute l'ambition, toute la concentration est de nous détourner, de détourner notre attention de tout ce qui est important. Un système de fils barbelés, d'interdits pour ne pas avoir accès à notre profondeur.

C'est une immense conspiration, la plus gigantesque conspiration d'une civilisation contre l'âme, contre l'esprit. Dans une société où tout est barré, où les chemins ne sont pas indiqués pour entrer dans la profondeur, il n 'y a que la crise pour pouvoir briser ces murs autour de nous. La crise, qui sert en quelque sorte de bélier pour enfoncer les portes de ces forteresses où nous nous tenons murés, avec tout l'arsenal de notre personnalité, tout ce que nous croyons être.

Christiane Singer, Du bon usage des crises


Avril 2002

Cet homme divin rédempteur du mal est, en toute vérité, la maison aux trésors que la Sagesse a fondée sur la pierre, et le malheur des temps interdit à plus d'un d'entre nous d'éluder la tâche de l'édifier. Cette tâche, vue de l'extérieur, paraît immense, surhumaine, mais les moyens nous en seront donnés au fur et à mesure, si nous l'entreprenons, car cette maison, ce temple de l'homme ne sera pas notre œuvre, mais celle de la Sagesse. La Pierre est divine, elle ne peut donc être confectionnée par la main de l'homme. C'est elle-même qui, frappant à la porte de notre cœur, prend l'initiative de l'opération, et crie, comme l'atteste Hermès dans le Traité d'Or : " Protège-moi et je te protégerai, donne-moi mon dû ". Ce qu'elle réclame ainsi, c'est tout nous-mêmes. Elle veut prendre la direction de notre vie à notre place, opérer en nous son accomplissement qui est en définitive le nôtre et remplir tout l'espace devenu vacant en nous, dans une défaite totale qui est aussi la victoire suprême.

[...] Nous avons à regarder non à côté ou derrière, mais ici, à nous affronter dans notre réalité, à envisager le présent, spatial et temporel. Car c'est ici, en moi, que se trouve, au fond, le dieu, c'est ici que, par son aide, peut être bâtie ma cité nouvelle, c'est ici que se trouve le chemin qui mène au Centre où réside le germe de l'arbre philosophique, arbre de l'homme éternel, arbre du monde, et plus je l'aborderai avec ingénuité, avec humilité, plus j'accepterai que son accès soit immédiat, dans les humeurs, les phantasmes, les songes, les mille aspects de l'existence vulgaire - et non dans de belles considérations sur le septième ciel et les merveilles de la libération spirituelle -, plus je serai assuré d'être dans ce que les alchimistes appelaient la voie de vérité, ma voie, qui n'est celle de nul autre, encore qu'elle doive me conduire au centre où tous les êtres sont consommés dans l'unité et revêtus de la force forte de toute force.


Étienne PERROT, L'aurore occidentale, La maison de la Sagesse pp 131-141


Février 2002

" Parfois, je ressentais comme une étrange envie de parler sans bien savoir de quoi. Je voulais essayer de poser des questions pour savoir si d'autres personnes avaient aussi fait de telles expériences. Ou bien je voulais donner à comprendre qu'il existe des phénomènes curieux dont on ne sait rien. Je ne réussis jamais à en trouver, ne serait-ce qu'une trace, chez autrui. Et ainsi j'eus le sentiment d'être réprouvé ou élu, maudit ou béni.

Et pourtant il ne me serait jamais venu à l'esprit de parler directement de mon aventure, non plus que du rêve du phallus dans le temple souterrain, ou du petit bonhomme sculpté, même alors que je m'en souvenais encore. Je savais que cela m'était impossible. Je n'ai parlé du rêve du phallus que lorsque j'ai eu atteint ma soixante-cinquième année. Les autres événements, peut-être les ai-je communiqués à ma femme, mais tardivement aussi. Pendant des dizaines d'années, un tabou rigoureux provenant de l'enfance les scella.

Toute ma jeunesse peut être envisagée sous le signe du secret. Cela me plongeait dans une solitude presque insupportable et je considère, aujourd'hui, que ce fut un véritable exploit que d'avoir résisté à la tentation d'en parler à qui que ce fût. Ainsi, dès lors, ma relation avec le monde se trouva préformée telle qu'elle est aujourd'hui : aujourd'hui aussi je suis solitaire, car je sais des choses qu'il me faut bien mentionner, que les autres ne savent pas, et le plus souvent ne veulent pas savoir. "


Carl Gustav JUNG, Ma vie, pp 61-62


Décembre 2001

" Avec plus ou moins de sérieux ou d'intérêt, le productivisme, dans ses diverses formes, est maintenant l'objet de critique. Le travail, le progrès ne sont plus des impératifs catégoriques. Économistes, experts, philosophes s'accordent pour constater que même dans une perspective linéariste de l'histoire, ces formes ont fait leur temps. La suspicion pèse sur Prométhée. [...]

La jouissance du présent, le carpe diem, deviennent des valeurs massives et irrécusables. [...] Le retour de Dionysos, ainsi compris, s'inscrit dans la guerre des dieux qui, à l'image de l'épopée homérique, se traduit dans des fortunes diverses et contradictoires. [...] Il n'y a pas un enfer et un paradis qu'il faudrait combattre ou conforter, il n'y a pas un Dieu unique avec son nécessaire envers, nous sommes confrontés à un panthéon exprimant bien la pluralité de notre vécu. C'est bien là tout le tragique et toute l'incertitude de l'existence sociale. [...]

Ne pas donner sa place aux forces du plaisir, c'est s'exposer au féroce retour du refoulé. Il en est de la dépense comme de la violence, la brider dans son expression c'est en encourager l'irruption perverse et exacerbée. La sagesse des anciens est ici de bon aloi qui tolérait une certaine " part d'ombre ", qui la ritualisait et ainsi s'en rendait maître. Les dionysies grecques n'avaient pas d'autres objectifs en permettant le libre cours des passions tumultueuses. [...] Face au laborieux Prométhée, il faut montrer que le bruyant Dionysos est aussi une figure nécessaire de la socialité. La question désormais n'est plus de savoir comment maîtriser la vie, mais comment la dépenser et en jouir."


Michel MAFFESOLI, L'ombre de Dionysos, contribution à une sociologie de l'orgie,
Librairie des Méridiens, Klincksieck et Le livre de poche (1991)


Novembre 2001

L' " ombre " de Jung et le sourire de Voltaire

Dans le salon d'attente de la maison de Küsnacht où Jung avait son cabinet de consultation, on voyait une réplique du fameux buste de Voltaire par Houdon [photo ci-dessus]. Fin 1955, un collègue de Bâle, le Dr Théodor Bovet, écrit à Jung, alors octogénaire, que rien plus que le sourire cynique de Voltaire ne lui paraît jurer avec l'amabilité et la chaleur humaine qui accueillent le visiteur - ami ou patient - à son entrée dans le cabinet de Küsnacht. " Comme si, écrit Bovet, vous aviez laissé votre ombre dans le salon d'attente. " Il faisait allusion, en l'occurrence, à un concept central de la psychologie analytique. Jung lui-même définissait " l'ombre " : " La personnification de toutes les caractéristiques que le Sujet ne se reconnaît pas, bien qu'elles persistent dans son tréfonds psychique, et se manifestent directement ou indirectement: il s'agit donc des aspects négatifs de la personnalité, de ses tendances irréconciliables. " L '" ombre ", c'est la part de culpabilité de chaque individu, englobant aussi, il est vrai, les instincts naturels, légitimes. Il est naturel, partant, que tout travail analytique suppose, dans une première phase, la prise de conscience et l'acceptation de " l'ombre " comme partie fatalement constitutive de l'individu. Dans sa confrontation avec lui-même, Jung s'était de longue date soumis à ce traitement. J'en veux pour preuve l'aveu qu'il fait à Bovet, en réponse à sa lettre: " Je suis disposé à admettre vos propos au sujet du buste de Voltaire [...]. Je considère avec plaisir l'expression moqueuse du vieillard cynique. Il me rappelle à chaque instant la futilité de mes aspirations idéalistes, le caractère douteux de ma morale, la petitesse de mes motivations et l'humain en général, hélas... trop humain ". Voilà pourquoi Monsieur Arouet de Voltaire ne quitte pas mon salon d'attente : de la sorte, les patients ne risqueront pas d'être abusés par l'amabilité du médecin. Mon "ombre" est, en réalité, si vaste qu'il m'a été impossible de la perdre de vue dans le programme de déroulement, de ma vie; tant s'en faut, je l'ai comptée comme une part inévitable de ma personnalité, l'assumant jusque dans ses ultimes conséquences et endossant la responsabilité entière de ces conséquences. Des expériences amères accumulées m'ont contraint à constater que les péchés qui sont les nôtres, ou avec lesquels nous nous identifions, peuvent bien être regrettés, mais ne peuvent être véritablement annulés. " C'est donc que Jung percevait, au verso de sa doctrine thérapeutique, la persistance d'un relativisme voltairien. Peut-être en avait-il déjà le sentiment dès 1929, lorsque, dans une lettre encore, il semblait inviter la gravité scientifique à la détente d'un sourire lucide et impassible: " La science n'est que 1'art de forger des illusions adéquates [...]. Il n'existe pas de choses réelles qui ne soient relativement réelles. "


Andréi Plesu, Cahier de l'Herne, Carl G. Jung


Octobre 2001

On est ramené à la question du sens [de la vie] et on découvre que c'est au fond - si on la prend dans ce qu'on en vit - une question qui opère. Ce n'est pas une question qui demande une réponse, parce que la réponse serait illusoire. Il faut avoir le courage de la regarder. C'est une question qui opère, c'est une question qui fait travailler, c'est une question qui sert de levain. C'est une interrogation qui nous travaille.[...] L'interrogation que nous avons sur le sens de la vie, si on accepte qu'elle nous travaille, conduit à trouver une réponse non pas sur le chemin d'un intellect, non pas sur le chemin d'une doctrine, mais sur celui d'une expérience du sens, c'est-à-dire une expérience du centre qui est aussi cette expérience du sens.

La réponse est là. Elle n'est pas du tout au niveau où se pose la question. Elle est dans cet endroit où je peux me vivre centré. A partir de là se vit un certain chemin. C'est-à-dire que je commence à percevoir ce qui va me permettre de rester centré ou non, ce qui est un cheminement existentiel. Qu'est-ce qui va me permettre de garder le sens, le centre ? Qu'est-ce qui va au contraire m'en faire dériver ?Ceci conduit à un autre type d'expérience qui est que d'être centré c'est aussi relier ensemble les différentes dimensions de notre être, les différentes dimensions de l'existence, relier ensemble tout ce qui va dans les différentes zones de l'expérience. Être entier. Se vivre entier. Ainsi, ce que nous percevons dans la question du sens, c'est qu'effectivement l'être humain peut se laisser travailler par la question et que ça le conduit dans cette expérience d'être centré, dans ce centre qui se développe au long de l'existence dans différentes dimensions sous lesquelles petit à petit se vit un certain " être entier ", " être singulier ". Là, il y a déjà, pour ma part, quelque chose qui est moins dans l'inconnu, qui est moins dans le flottant, quelque chose qui commence effectivement à donner une certaine compréhension ou une certaine orientation, indépendamment des a priori, en se dégageant des a priori.

Élie HUMBERT, Les repères symboliques dans la quête du sens in La dimension d'aimer (cahiers jungiens de psychanalyse).

Août 2001

Jung maintient le rôle de l'homme en posant la question du sens : une interrogation qui ne demande rien, qui produit. Elle trouve sa réponse non pas dans un discours, mais dans une donnée irrationnelle, l'effet de sens. Sans savoir en quoi il consiste, j'ai le sentiment d'être dans le sens. Cette expérience, qui est à elle-même sa propre évidence, devient un guide, un critère auquel on réfère les choix. Elle ne permet cependant jamais de traiter le sens de la vie comme un objet, d'en donner une formulation. C'est au contraire, par rapport à elle que les mots ont un sens.

Refuser l'absurde, lutter pour le sens, est aujourd'hui la position la plus vivifiante. Ce n'est certainement pas une attitude définitive. Un jour viendra où elle sera dépassée, où on reconnaîtra en elle une projection, un transit vers une nouvelle forme de la conscience de soi dans la conscience du monde.

Élie HUMBERT, Écrits sur Jung (éditions Retz).


Mai 2001

Je me dis alors : " J'ignore tout à un tel degré que je vais simplement faire ce qui me vient à l'esprit. ". Je m'abandonnai de la sorte consciemment aux impulsions de l'inconscient.

Dans cet état d'esprit, la première chose qui se produisit fut l'émergence d'un souvenir d'enfance datant de ma dixième ou onzième année. A cette époque de ma vie, j'avais joué passionnément avec des jeux de construction. Je me souvins clairement comme j'édifiais des petites maisons et des châteaux [...] A ma grande surprise, ce souvenir émergea accompagné d'une certaine émotion.

" Ah, ah ! me dis-je, là il y a de la vie ! le petit garçon est encore dans les environs et possède une vie créatrice qui me manque. Mais comment puis-je parvenir jusqu'à elle ? " [...]

Ce moment fut un tournant de mon destin. Je ne m'abandonnai finalement à la plongée qu'après des répulsions infinies et non sans éprouver un sentiment d'extrême résignation. Ceci n'alla pas sans susciter l'expérience douloureuse de l'humiliation de ne pouvoir réellement rien faire d'autre que de jouer.

C'est ainsi que je me mis à collectionner les pierres dont j'avais besoin en les ramassant sur le bord du lac soit dans l'eau ; puis je me mis à construire de petites maisons, un château, tout un village. [...]

Chaque jour, après le déjeuner, quand le temps le permettait, je m'adonnais aux constructions. A peine la dernière bouchée avalée, je " jouais " jusqu'à l'arrivée des malades ; et le soir, si mon travail avait cessé suffisamment tôt, je me remettais aux constructions. Ce faisant, mes pensées se clarifiaient et je pouvais saisir, appréhender de façon plus précise des imaginations dont je n'avais jusque-là en moi qu'un pressentiment très vague.

C.G. Jung, Ma vie pp. 201-203.

Avril 2001

"Quiconque a éprouvé comme moi le bonheur rare d'expérimenter le pouvoir divinatoire du Yi King en communion spirituelle avec Wilhelm ne peut manquer de voir à la longue que nous touchons là un point d'Archimède à partir duquel notre attitude d'esprit occidentale peut être sortie de ses gonds. [...] Wilhelm nous a en outre transmis un germe vivant de l'esprit chinois, capable de modifier de façon essentielle notre image du monde."

C.G. Jung, Discours à la mémoire de Richard Wilhelm
in Commentaire sur le Mystère de la Fleur d'Or.

Septembre 2000

Philémon lui enseigna quelque chose d'essentiel, qui donne la clé de toute sa psychologie, c'est la réalité de la psyché. Il le fit avec beaucoup d'art. Il expliqua que Jung considérait ses propres pensées comme s'il les avait créées lui-même (ce qui est, en effet, le préjugé occidental habituel). Mais Philémon lui dit que, à son avis, les pensées ressemblaient aux animaux d'une forêt, aux gens réunis dans une pièce, et il ajouta : "si tu vois des hommes dans une pièce, tu ne prétendrais pas que tu les as faits ou que tu es responsable d'eux." C'est grâce à Philémon que Jung apprit le caractère objectif et réel de la psyché, son existence absolument indépendante. Nous pouvons l'explorer, mais nous ne pouvons agir sur elle que de manière excessivement limitée, si tant est que nous parvenions jamais à l'influencer. Je crois que c'est un point crucial, car c'est la source principale de l'incompréhension à l'égard de la psychologie jungienne.

Barbara Hannah, Jung, sa vie, son oeuvre.

Juillet - août 2000

"Ce que je cherche en fin de compte, c’est l’expérience intérieure qui a guidé Jung toute sa vie. C’est de comprendre les épreuves qu’il a dû affronter, les ténèbres de feu qu’il a dû traverser, le pouvoir de la mort qu’il n’a cessé de côtoyer. Bref, d’entrer dans les tourments d’une âme si angoissée de comprendre le monde qu’elle ne s’est jamais reposée dans les clairières que pourtant elle découvrait à mesure, ou dans les lueurs d’aube tremblantes qui surgissaient quelquefois au sortir des nuits noires qu’il avait fallu regarder sans cligner les paupières.

[...] L’expérience intérieure : une terrible expression !

Et tous ceux qui en parlent (qui en parlent !), savent-ils à quel point il y faut un courage, et bien plus qu’un courage, une témérité de tout l’être pour s’avancer au désert où menacent la foudre, la folie et la mort ?"

Michel Cazenave, Jung, l’expérience intérieure,
éditions du Rocher, 1997.



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